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Poétiques sauriennes

(et diverses histoires)

Parabole du croco ou Naissance de la poésie saurienne

 

De la naissance jusqu’à la mort, le crocodile rampe dans une eau noire. Parfois il bondit hors de l’eau, pour y manger des bêtes. Il en mange dans l’eau aussi. Il tourne sur lui-même à toute vitesse après avoir saisi sa proie, la déchiquetant ainsi en menus morceaux. Morceau par morceau, la proie s’envole autour du crocodile et l’encercle.

 

La proie se disloque et de cette dislocation naissent des fragments de sens

 

Tout est calme ensuite dans le marais, le crocodile gobe les morceaux de chair et laisse son estomac faire le reste. Son corps travaille tout seul. Le corps du crocodile est dense, sa peau donne à penser qu’il est très vieux (rappelons que les crocodiliens appartiennent à un ordre de reptiles apparus sous leur forme actuelle il y a des millions d’années)

 

Le crocodile tourne sur lui-même parmi le sang et ignorant du sens -nous pourrions penser que le crocodile ignore tant le sens qu’il devient lui-même le sens qui n’a nulle autre justification que d’exister

 

Parfois, quand il n’y a rien à manger, le crocodile marche sur la rive. Il se déplace avec lenteur, des petits oiseaux dans la gueule. Il n’essaye même pas de les manger. Ils lui parlent une langue étrangère et tâtonnante. Les oiseaux ensuite s’envolent et observent la quatrième dent du crocodile dépasser ; signe que sa gueule est fermée. Et que le crocodile pense, sans doute.

 

La quatrième dent du crocodile cisèle silencieusement les sens digérés dans l’air humide

 

Ainsi, le crocodile écoute les bruits du dehors. Si un humain se baladait dans le noir près de son marais, le crocodile le verrait comme en plein jour et l’attraperait. Il vaut donc mieux que l’humain évite de s’approcher du repère du crocodile.

 

Avec le temps, l’humain a inventé des moyens pour devenir plus habile que le crocodile et donc l’humain représente à ce jour le seul prédateur du crocodile –la condition étant que l’humain dispose des moyens d’habileté qui lui sont nécessaires pour vaincre le crocodile. Après, il fera des sacs à main Gucci à 24 000€. MAIS sinon, l’humain se retrouvera bien vulnérable devant le crocodile et se fera sans nul doute croquer, à moins d’avoir de bons réflexes et de courir vite.

 

Dans sa course pour échapper au crocodile l’humain voit ses yeux crevés par les oiseaux qui plus tôt reposaient dans la gueule du crocodile et l’humain, par cet aveuglement, se voit hériter de la langue archaïque et tâtonnante des oiseaux

Ainsi l’humain pourra à présent retrouver son chemin dans le noir

 

Le crocodile, sa vie durant, préfèrera l’obscurité au soleil. Contrairement aux humains qui s’y prélassent, au soleil, avec serviettes et crème auto bronzante. Le crocodile n’a jamais pensé à bronzer.

Il n’aime pas le soleil, il aime l’eau et la nuit. Mais le crocodile n’aime pas l’eau lorsqu’elle est agitée, il l’aime gisante et noire. Il peut s’y blottir à son aise. Lorsqu’elle est agitée, l’eau lui fait penser à la mer et le crocodile sait bien que la mer l’engloutirait, et c’est ce que ne peut souffrir le crocodile, la possibilité d’engloutissement –non mais oh, pourrait-il dire.

 

Le crocodile pense à taire ses rugissements et fait semblant de dormir dans les profondeurs du sens

 

Le crocodile aime l’eau qui fait miroir pour s’y dissimuler. Tandis que les animaux se mirent, le crocodile se déplace souterrainement. Ainsi le crocodile se trouve souvent de l’autre côté du miroir.

 

Le crocodile chante ses chants de sirène pour attirer les animaux errants

-le crocodile attire les sens qui errent autour de lui puis les avale tous en les mêlant

 

Le crocodile chante donc parfois pour attirer sa proie, avec des accents languissants. Ses gémissements rendent attachant le crocodile, nous donnant envie de l’appeler plutôt croco. L’idée est là. Le croco joue assez bien la comédie et sait comment prendre les gens.

 

Le croco a survécu aux dinosaures. Peut-être parce que le croco est toujours blotti bien au chaud –aimant la chaleur même si pas le soleil- à attendre que la vie se déclare, plus haut, sur la terre.

Un refuge donc, que le croco s’est crée, au fil des années –et il s’agit de millions.

 

Un refuge pour dissoudre tous les sens régurgités

 

De telle sorte que, pour le croco, le monde se résume à un marais. Ce qui entoure le marais est seulement le monde de sa nourriture, là où elle prend des forces et grandit avant de venir à lui.

Cela nous rappelle la menace que représente le croco et nous donne à nouveau envie de l’appeler par son nom entier.

Le crocodile ne part pas à l’aventure.

Les autres animaux, si. Ils y arrivent donc malgré eux, au crocodile -l’aventure est ici le contraire du sens oublié au fond du marais

 

Le crocodile configure peut-être depuis toujours dans son œil la forme d’un territoire unique qui lui appartiendrait, et,

À force d’imagination, peut-être a-t-il réussi à faire que ce territoire lui appartienne, effectivement -le croco n’a pas le sens des noms. Alors les humains héritiers de la langue des oiseaux l’ont nommé Saurien

 

C’est ainsi que, dans le territoire saurien où le croco crocodile fait semblant de dormir et attend de manger, une poésie naquit de tous les sens tournoyés et broyés dans les langues une poésie saurienne

 

 

 

Juillet 2015

Julia Lepère 

Laurène Praget ©

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